Décoloniser le développement

Nouvelles : Analyses

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Augusta Henriques, fondatrice de Tiniguena, un homologue d'Inter Pares en Guinée Bissau, anime une rencontre avec les résidents locaux de la zone marine protégée communautaire d'Urok dans les îles Bijagos. Crédit: Tiniguena

Il y a 45 ans, un groupe de jeunes Canadiennes et Canadiens passionnés par la paix mondiale et la justice retournent au pays après une expérience de volontariat à l’international, désillusionnés, mais motivés. Leur expérience leur a révélé comment l’aide internationale pouvait affaiblir les organisations locales dans les pays du Sud, en imposant des idées du « développement » inspirées de l’eurocentrisme et de la suprématie blanche. Plutôt que d’appuyer des activistes locaux dans leur propre contexte, l’aide internationale recrée souvent des dynamiques coloniales et exacerbe les inégalités.

C’est ainsi que, inspirés par les luttes anticoloniales, l’émergence d’idées féministes et la mobilisation communautaire, ce groupe de jeunes a fondé un nouveau type d’organisation œuvrant pour la justice sociale : une organisation qui rassemble les activistes du Canada et des pays du Sud afin d’œuvrer pour un changement inter pares, ou « entre égaux ».

Inter Pares aspire toujours à défendre le principe qui nous a valu notre nom. Nous travaillons avec des homologues — des organisations locales en Afrique, en Asie, en Amérique latine et au Canada — et entretenons des relations de long terme et fondées sur le respect mutuel et le partage de causes communes. Nous considérons nos homologues comme des activistes et des experts de leur propre contexte local et nous valorisons leur leadership dans nos collaborations. En travaillant au Canada, Inter Pares reconnaît aussi les injustices au sein de nos propres frontières. Notre approche n’est pas celle de la charité, mais est plutôt fondée sur une profonde solidarité.

Plusieurs des ressources et des privilèges dont nous bénéficions en tant que  Canadiennes et Canadiens ont été obtenus par exploitation, à l’intérieur de nos frontières et au-delà. Par la solidarité avec nos homologues, nous nous efforçons d’aborder le pouvoir politique et capitaliste que le Canada exerce au détriment des autres pays. À titre d’exemple, par l’entremise de Mines Alerte Canada et du Réseau canadien sur la reddition de comptes des entreprises, nous travaillons avec des partenaires au Canada pour tenir responsables de leurs actes le gouvernement canadien et l’industrie extractive. Ce travail a été initié par nos partenaires au Nicaragua, au Ghana et aux Philippines, qui ont souligné, il y a plusieurs décennies, que les initiatives communautaires que nous appuyions étaient affaiblies par les compagnies minières canadiennes. De même, il y a deux ans, lorsque nous avons appris de notre homologue du Burkina Faso, COPAGEN1, qu’un consortium, majoritairement du Nord, imposait des technologies risquées et non éprouvées — à savoir des moustiques génétiquement modifiés — sans en avoir informé ou avoir demandé le consentement de la communauté, nous avons appuyé les activités de recherche et de plaidoyer de nos homologues.

Lorsque nous recueillons des fonds pour des partenaires à l’international, nous faisons ce que nous pouvons pour redistribuer les ressources qui ont été concentrées injustement dans les pays du Nord. Néanmoins, le colonialisme et le racisme par extension sont enracinés dans les systèmes dans lesquels nous devons œuvrer. Malgré la mise sur pied d’une Politique d’aide internationale féministe du Canada, le gouvernement exige que nous « dirigions et contrôlions2» les fonds avec lesquels nous appuyons nos partenaires. En tant qu’organisme de bienfaisance enregistré, Inter Pares doit agir comme si les partenaires locaux étaient dépourvus de rôle décisionnel et ne faisaient que mettre en œuvre nos programmes. Ultimement, de telles restrictions n’ont que très peu à voir avec la reddition de comptes, mais expriment plutôt un manque de confiance envers les communautés du Sud — un manque de confiance qui prend sa source de l’eurocentrisme et de la suprématie blanche. À Inter Pares, nous considérons nos relations de long terme avec nos homologues comme étant au cœur d’une approche réciproque de reddition de comptes. Nous faisons le plaidoyer de structures d’aide et d’une politique étrangère féministe ancrées dans un esprit de solidarité et d’égalité.

Il y a tant à faire. Nous ne pouvons atteindre la justice sociale sans démanteler le colonialisme et le racisme. Ce n’est qu’en co-créant de nouveaux systèmes basés sur la confiance, sur le rôle prépondérant des acteurs locaux, sur la justice et la solidarité que nous pourrons, dans tous les sens du terme, œuvrer entre égaux.

 

1COPAGEN est la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain et travaille dans neuf pays en Afrique de l’Ouest.
2« Direction et contrôle » est une expression utilisée par l’Agence du revenu du Canada.

Lorsque nous recueillons des fonds pour des partenaires à l’international, nous faisons ce que nous pouvons pour redistribuer les ressources qui ont été concentrées injustement dans les pays du Nord.

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