Révolution au Soudan : la lutte dans la lutte

Nouvelles : Analyses

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A group of Sudanese women gathered in protest with their backs to the camera
Crédit: Sanaa Makawi

Le 2 juin 2019, les milices ont brutalement réprimé des manifestations pour la démocratie au Soudan, effaçant tout espoir prochain d’une transition pacifique vers un régime civil. Brisant les rêves, elles n’ont laissé dans leur sillage que mort et destruction.

Même si les activistes du Soudan sont partagés entre l’accablement et le défi après le démantèlement de plusieurs mouvements de protestation, une chose est sûre : les femmes continueront de jouer un rôle clé dans la révolution du pays et poursuivront leur quête pour s’affranchir d’une société patriarcale.

À la fin 2018 et au début 2019, des milliers de citoyennes et de citoyens ordinaires ont fait des marches pacifiques dans les rues pour réclamer la fin de l’oppression, partout au Soudan. Ils ont organisé des sit in devant les QG de l’armée. Bravant l’adversité, malgré les menaces et parfois les tueries des forces militaires et paramilitaires, le mouvement n’a pas fléchi, poursuivant ses manifestations très bien organisées et rassembleuses.

Les manifestants ont fait tomber une dictature au pouvoir depuis 30 ans. Au printemps 2019, s’amorçaient les négociations pour le partage du pouvoir avec la population. Libéré d’une cleptocratie qui régnait par la peur et la violence, « le peuple avait enfin un avenir », selon les mots d’Asha El-Karib, militante pour les droits des femmes.

Des femmes comme Asha ont occupé une place centrale dans cette révolution. En plus de participer à tous les aspects du mouvement, elles ont montré au monde entier qu’elles pouvaient protester, diriger et mobiliser. Comment oublier l’image devenue virale de la jeune femme en blanc qui scandait haut et fort des slogans révolutionnaires? Mais ces moments de triomphe ne disent pas le prix payé par les femmes du Soudan pour leur engagement. On les a harcelées, battues et emprisonnées. Elles ont littéralement mis leur corps et leur vie en péril.

La situation des femmes au Soudan était et reste extrêmement difficile. Elles vivent de la discrimination dans les deux sphères, privée et publique. Ainsi, la loi les oblige à obtenir la permission d’un tuteur de sexe masculin pour travailler ou voyager à l’étranger. On marie le tiers des femmes avant l’âge de 18 ans. Et un ensemble précis de lois brutalement appliquées par une police spéciale de l’ordre public codifie ce qu’elles ont le droit de porter. Il y a longtemps que le mouvement des femmes dénonce cette inégalité au Soudan. Pour ces militantes, la révolution va au-delà de la démocratie, elle vise à mettre fin aux structures patriarcales qui alimentent la misogynie.

Depuis plus de quinze ans, Inter Pares appuie d’incroyables organisations de femmes au Soudan. Pendant ce temps, envers et contre tout, elles n’ont pas cessé d’organiser, d’éduquer et de plaider pour leurs droits. Le simple fait de survivre à ces années d’oppression et d’hostilité est une victoire en soi. Nous le savions en 2014, quand le gouvernement a fermé le Centre Salmmah de ressources pour les femmes, homologue d’Inter Pares, à cause du franc-parler de sa directrice et de son travail avant-gardiste. 

Cette révolution a canalisé la colère et la frustration du mouvement des femmes soudanaises, ainsi que leurs espoirs. « Nous pouvons même nous dire féministes, un terme auparavant dangereux et stigmatisant », se réjouit Asha, une militante de l’Organisation soudanaise pour la recherche et le développement (SORD), homologue d’Inter Pares.

Malgré leur rôle central dans la rue, les femmes sont toutefois presque absentes de tout appareil de négociation officiel ou privées de toute représentation officielle dans les structures proposées pour le gouvernement de transition. Cette fois-ci, elles sont exclues par leur propre mouvement et par les hommes à sa tête. « C’était à prévoir, mais nous sommes profondément déçues », dit Asha de cette lutte dans la lutte, clamant : « Il n’y aura pas de retour en arrière! ». Le mouvement des femmes va continuer de s’organiser et de forger une révolution qui reconnaît l’autonomie des femmes et respecte leur action.

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