Achia Begum, Nijera Kori

Crédit: S M Mahfuzul Islam Rahat

À Rosulpur, au Bangladesh, les femmes et les hommes se rassemblent comme ils le font chaque semaine depuis 35 années. Dans une salle, le groupe s’assoit en cercle sur des chaises et des bancs en bois. Il fait 30 degrés à l’extérieur, et on sent la chaleur dans cet espace bondé. Des affiches des marches organisées ces dernières années dans le cadre de la Journée internationale des femmes ornent les murs. Poussée par la brise, la rumeur de la communauté qui s’active pénètre par les fenêtres ouvertes.

Ce sont là quelques-unes des personnes sans terre qui vivent au Bangladesh.

Être sans terre implique de mener une vie remplie d’épreuves. Au Bangladesh, posséder une terre permet de jouir d’un certain pouvoir politique et d’exercer une influence sociale. Les personnes sans terre au Bangladesh occupent ainsi un rang social inférieur. Dans les régions rurales, ce statut restreint leur accès à des emplois valorisants, à l’éducation, aux services sociaux et à la représentation politique.

Toutefois, avec l’appui de l’organisation Nijera Kori, les personnes sans terre à travers le Bangladesh se rassemblent depuis les quatre dernières décennies afin de réclamer leur pouvoir. Pour créer des liens, apprendre, échanger et s’organiser.

Fondée en 1980, soit peu de temps après l’indépendance du pays vis-à-vis du Pakistan, Nijera Kori reste enracinée dans l’action politique et collective. Cette organisation a été créée par des personnes mécontentes de la réorientation du secteur du développement vers la prestation de services au détriment du renforcement des capacités et du travail de sensibilisation. Pour contrer cette approche, Nijera Kori a mobilisé les personnes sans terre vivant dans les régions rurales, les rassemblant en petits groupes chargés de revendiquer leurs droits et leur citoyenneté. Aujourd’hui, Nijera Kori soutient plus de 200 000 membres à travers tout le Bangladesh.

« Je suis une personne à part entière. Je possède ma propre voix. Et ma voix est plus forte que celle de ceux qui parlent contre moi. »

Achia Begum se trouve parmi les personnes assises en cercle. Étant la plus vieille membre de ce groupe, Achia lui apporte beaucoup par la fougue et la résistance dont elle fait montre depuis des décennies.

Frustrée par l’exploitation des personnes sans terre et par la violence contre les femmes dans sa communauté, Achia a voulu agir afin d’améliorer sa vie et sa communauté. Elle a appris l’existence de Nijera Kori au milieu des années 1980, et a contribué à mettre sur pied l’un des premiers groupes de personnes sans terre. Elle est parvenue à recruter 60 personnes – un groupe si grand qu’il a fallu le scinder en trois. Depuis lors, elle a créé plusieurs nouveaux groupes dans les communautés avoisinantes. Elle tire une grande fierté de cette réalisation. « Pour moi, aucun groupe n’est impossible à créer », dit-elle avec un sourire confiant.

Au Bangladesh, être une femme sans terre est doublement compliqué. Achia a eu une vie difficile. Alors qu’elle était jeune fille à Rosulpur, elle n’a pas eu accès à l’éducation. « Si l’éducation avait été accessible à mon époque, se figure-t-elle, je serais devenue juge. » Devenue adulte, des voleurs de terre l’ont violemment chassée de son petit lopin pour l’exploiter. Ils lui ont laissé des cicatrices visibles sur le visage. C’était il y a dix-sept ans. Or, Achia se bat toujours pour récupérer sa terre, et le groupe sans terre l’a soutenu afin qu’elle continue de le faire.

L’accaparement des terres est un phénomène mondial par lequel des communautés agricoles entières se retrouvent sans terre. L’accaparement des terres est un grave problème au Bangladesh, où les familles riches et les entreprises, fortes de leur pouvoir social et motivées par l’avidité, dépossèdent les communautés paysannes de leurs terres par la violence et la fraude. Ces personnes, forcées de se déplacer, n’ont plus accès aux terres agricoles dont dépendent leurs moyens d’existence et leur bien-être.

« Si nous sommes uni-e-s, nous sommes plus fort-e-s. »

Tout au long de son combat, Achia a su trouver la force nécessaire auprès du groupe de personnes sans terre. « On ne peut pas se battre individuellement », affirme-t-elle. « Si nous sommes uni-e-s, nous sommes plus fort-e-s. » Achia se sent également en sécurité au sein de ce groupe, comme si une barrière de protection l’entourait, et cela l’encourage à soutenir les autres.

Chaque semaine, Achia rejoint son groupe. Accompagnés par une personne de l’équipe de Nijera Kori, les membres du groupe discutent des problèmes qui affectent leur communauté et des moyens de les résoudre. Nijera Kori joue un rôle important alors qu’elle aide les membres de ce groupe à apprendre à répondre à la violence dans leur communauté – qu’il s’agisse de créer des espaces de dialogue entre les membres de la communauté et les décisionnaires, de les guider à travers le système de justice, ou d’organiser d’importants rassemblements dans les rues pour exiger du changement.

« Ça fait 35 ans qu’on travaille », souligne Achia. « Au cours de ces années, les choses ont beaucoup changé. Avant, les gens ne nous écoutaient pas, ou ne se parlaient pas entre eux. Maintenant, quand on est en désaccord avec ce qui se passe, on proteste, on communique entre nous. Aujourd’hui, on est fort. »

Alors que la rencontre touche à sa fin, les membres se rendent dans une petite cour intérieure. Observant la tradition de Nijera Kori, les membres commencent à chanter. Cette fois-ci, ils commencent même à danser. Au cœur du cercle qu’ils forment se trouve Achia, les bras levés vers le ciel.

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