« Le peuple soudanais est tout simplement oublié » Entretien avec Ilham Ibrahim

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“ The international community doesn’t really talk about what’s happening here,” says Ilham Ibrahim, head of Inter Pares counterpart SORD. Credit: Courtesy of Ilham Ibrahim

La guerre au Soudan a été particulièrement cruelle pour les femmes. Pour mieux comprendre l’impact de la guerre sur les femmes, nous avons parlé à Ilham Ibrahim, directrice générale de l’Organisation soudanaise pour la recherche et le développement (SORD), homologue de longue date d’Inter Pares. Ilham nous a parlé depuis l’Ouganda.

• Comment votre travail a-t-il évolué depuis le début de la guerre ?
Notre bureau de Khartoum a été pillé et le personnel a dû quitter le pays pour s’installer dans notre bureau de l’est du Soudan, à Kassala. Nous avons revu nos programmes pour répondre à l’urgence : distribuer des vivres et des trousses d’hygiène, soutenir les refuges pour les femmes. Nous ne sommes même pas en mesure de répondre à la demande. Même dans les camps d'accueil, nous avons recensé des cas de violence, de sorte que les femmes qui avaient été déplacées dans d'autres États à la recherche de sécurité sont maintenant confrontées aux mêmes conditions.

Nous avons peu d’expérience dans le domaine… En temps normal, SORD est une organisation de recherche qui s'occupe de documenter les cas de violence fondée sur le genre et fournit des services de counseling aux survivantes. Dans l’état actuel des choses, nous ne pouvons pas opérer normalement et produire des informations sur la violence sexiste et distribuer des brochures.Nous nous intéressons plutôt aux expériences quotidiennes des femmes et à la manière dont nous pouvons réduire leur vulnérabilité et leur risque d'exposition à la violence en distribuant des sifflets et des lampes de poche, par exemple. 

  • Quels sont les défis auxquels SORD doit faire face? 

Les défis sont nombreux. Il est très difficile de s'organiser correctement, car personne ne connaît les dynamiques de cette guerre et ce qui se passera à la fin. Si elle aboutira à un cessez-le-feu ou non, s'ils parviendront à un accord et s'il sera durable. Nous ne savons pas si les personnes déplacées pourront un jour retourner à Khartoum, car la ville a été détruite : hôpitaux, universités, écoles, routes, ponts... Combien d'entre nous pourront revenir et mener une vie normale ? L'avenir est très incertain, notamment en raison du niveau d'insécurité très élevé lié aux armes et aux gangs.Mais le plus dur, c'est que nous avons l'impression que le peuple soudanais est tout simplement oublié. La communauté internationale ne parle pas vraiment de ce qui se passe ici.

Mais le plus difficile, c'est que nous avons l'impression que les Soudanais-e-s sont tout simplement oublié-e-s, que notre guerre est oubliée. La communauté internationale ne parle pas vraiment de ce qui se passe ici. Et notre gouvernement a un rôle à jouer là-dedans, car il complique encore plus la tâche des acteurs internationaux pour venir en aide à ceux et celles qui sont dans le besoin, en raison de la complexité des procédures, de la mauvaise gestion de l'aide, des biais dans la distribution de cette aide et du niveau très élevé de la corruption.

• Quel est l’impact du conflit sur les femmes soudanaises?
Le corps des Soudanaises est une arme de guerre. Il y a du travail forcé, de la prostitution forcée, de la traite de personnes, des enlèvements et de l’exploitation économique. De plus, les besoins des femmes sont complètement absents des négociations de paix parce que les belligérants sont à 100 % masculins et ils n’aborderont jamais les questions qui préoccupent les femmes.

•  Quel est le rôle joué par les femmes soudanaises dans cette guerre?
Partout, on voit des femmes qui résistent malgré toutes ces difficultés. En dépit de la guerre et de l’énorme prix qu’elles ont déjà payé, ce sont les femmes qui sont là pour soutenir les autres femmes, répondre aux besoins essentiels, offrir de l’aide juridique et du counseling, aider les femmes enceintes et les victimes de viol à obtenir des services médicaux.

Les femmes s'organisent également en utilisant les médias sociaux pour s'opposer à la guerre. Elles essaient d'arrêter la guerre au niveau pratique et de convaincre les gens de ne pas y participer, même contre la campagne de militarisation du gouvernement.

Même avant la guerre, ce sont les jeunes et les femmes qui ont mené la révolution de 2019. Mais quand est venu le temps de la représentation, les hommes étaient là dans leurs beaux costumes pour parler de la révolution que nous avons menée, et utiliser nos efforts à leur profit. Pour nous, c’est une lutte quotidienne, mais nous allons continuer.

  • Quelle est la condition du mouvement féministe au Soudan aujourd'hui ?

Les mouvements féministes sont très actifs au Soudan, indépendamment de la guerre, mais nous avons encore des obstacles à surmonter. Nous ne sommes pas encore parvenues à un programme commun. Nous essayons de le faire.
Il y a tant d'organisations dirigées par des femmes et d'organisations féministes au Soudan, mais elles ne se regroupent pas pour parler d'une seule voix, parce qu'il y a tant de points de vue différents d'une région à l'autre, d'une ethnie à l'autre, d'un âge à l'autre.
Je rencontre tellement de gens qui disent : « Nous ne sommes pas censées avoir une voix unique. Personne ne demande aux hommes de parler d'une seule voix » et je continue à dire « Les hommes ont une seule voix, qui est contre nous ». Ils ont leur propre agenda commun, et nous devons parvenir à cet agenda commun en tant que femmes soudanaises, peu importe nos différences, sinon nous ne gagnerons jamais.

  • Que peut faire la communauté internationale pour soutenir le peuple soudanais en ce moment ?

La communauté internationale doit faire pression sur les parties belligérantes qui négocient en vue d’un cessez-le-feu permanent. Il faut ouvrir des couloirs humanitaires sécuritaires pour aider les personnes dans le besoin et prendre toutes les mesures possibles pour stopper la violence fondée sur le genre. 

L’entrevue a été éditée par souci de clarté et de concision. 

 

Le plus dur, c'est que nous avons l'impression que le peuple soudanais est tout simplement oublié.

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