Lettre ouverte au Premier ministre Trudeau sur le Myanmar/la Birmanie

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Rohingya refugees help each other after crossing the Bangladesh-Myanmar border. Credit: Mohammad Ponir Hossain/Reuters

3 septembre 2024

Monsieur le Premier Ministre,

Il y a trois ans et demi, les militaires ont organisé un coup d’État au Myanmar qui a mis fin à une expérience fragile et imparfaite de la démocratie et a plongé le pays dans un conflit armé, caractérisé par des déplacements de population et des violations des droits humains. Nous venons également de commémorer le septième anniversaire de la vague de génocide perpétrée en 2017 contre les Rohingyas, qui a conduit quelque 800 000 Rohingyas à chercher une sécurité précaire au Bangladesh – un nombre qui ne cesse de croître en raison de la progression du conflit dans l’État de Rakhine.

Nous soussignées, 79 organisations canadiennes, birmanes et internationales œuvrant pour la paix et la démocratie au Myanmar, demandons au gouvernement du Canada de renouveler et de renforcer son soutien politique, technique et matériel à la population et au pays dans leur cheminement vers un avenir démocratique pacifique, sécuritaire et inclusif.

Nous reconnaissons et remercions le gouvernement du Canada pour la position ferme qu’il a adoptée au fil des ans en faveur des populations touchées par le conflit au Myanmar et les acteurs démocratiques, ainsi que pour son leadership international dans la lutte contre le génocide des Rohingyas.

Pour aller de l’avant, les personnes qui sont depuis longtemps solidaires des peuples du Myanmar s’accordent à dire qu’il est urgent de prendre les mesures suivantes. Ces demandes d’interventions concrètes s’appuient sur les voix et les contributions des défenseurs et défenseuses de la démocratie et des droits, des intervenant-e-s d’urgence et des leaders de la société civile qui ont bénéficié d’un soutien rendu possible grâce au financement d’Affaires mondiales Canada.

 

1. Sanctionner la Myanma Oil and Gas Enterprise (MOGE). Des sanctions mondiales ciblées et coordonnées contre des entités clés peuvent influencer l’issue du coup d’État militaire. Alors que le Canada dispose d’un régime de sanctions solide à l’égard du Myanmar, notre pays n’a pas sanctionné MOGE, contrairement à nos alliés mondiaux, les États-Unis et l’Union européenne. 

MOGE est la principale source de revenus de la junte et constitue donc une cible majeure pour stopper les flux financiers qui permettent à la junte de commettre des atrocités à l’encontre de son propre peuple. MTI Energy, une société canadienne, est censée s’associer à la MOGE pour le projet gazier de Yadana. Il est inacceptable que les sanctions canadiennes n’empêchent pas une société canadienne de faire affaire avec une entreprise d’État contrôlée par la junte. En septembre dernier, une ONG américaine a déposé une plainte auprès du Point de contact national de l’OCDE concernant l’accord avec MTI, mais aucune décision n’a encore été prise. Inter Pares a mobilisé plus de 2 700 Canadiennes et Canadiens qui demandent au Canada de sanctionner MOGE.

 

2. Passer à l’aide humanitaire transfrontalière et l’intensifier. Pendant de nombreuses années, le Canada a été un leader mondial dans le soutien à la population du Myanmar. Mais nous ne sommes plus en phase avec d’autres bailleurs de fonds qui commencent à réorienter leur aide humanitaire vers des canaux transfrontaliers (via les pays voisins, hors du contrôle de la junte) afin d’apporter une aide qui atteigne réellement les personnes les plus vulnérables. La majeure partie de l’aide humanitaire du Canada au Myanmar passe par des agences multilatérales, qui acheminent les fonds par des canaux contrôlés par la junte, notamment par la Société de la Croix-Rouge du Myanmar. Cette approche ne permet pas d’atteindre les communautés touchées par le conflit qui en ont le plus besoin, et elle donne une légitimité à la junte terroriste en lui permettant de politiser et de militariser l’aide. 

En revanche, il existe aux frontières du Myanmar des acteurs locaux qui ont des dizaines d’années d’expérience dans la distribution efficace et responsable de l’aide aux communautés déplacées et touchées par le conflit, et qui sont les mieux placés pour acheminer des fonds et de l’aide au-delà des frontières. Même dans des régions durement touchées comme l’État de Rakhine, où les ONG internationales travaillant avec la junte ne peuvent pas apporter d’aide, il existe des organisations locales qui peuvent s’associer à la distribution de l’aide en dehors du contrôle de la junte. Soutenir les réponses locales est le moyen le plus efficace et le plus éthique de faire face à la crise humanitaire catastrophique.

Le Canada pourrait également fournir une assistance technique non létale pour la protection des civils, telle que des systèmes d’alerte rapide qui préviendraient les civils des dangers imminents et pourraient sauver des milliers de vies civiles, en particulier dans les zones sujettes aux conflits.


3. Reconnaître et fournir une expertise et un soutien matériel aux organes de gouvernance démocratique émergents aux niveaux national et infranational. Le gouvernement d’unité nationale (NUG), les gouvernements émergents au niveau des États (tels que le Conseil exécutif intérimaire (IEC) du Conseil consultatif de l’État du Karenni et le Parlement intérimaire de l’État du Karenni) et les organes de gouvernance ethnique établis (tels que l’Union nationale karen (KNU)) sont les éléments constitutifs de la future nation démocratique fédérale du Myanmar. Les nouveaux organes de gouvernance, tels que le NUG et l’IEC, ont fait des progrès considérables en termes de développement et de sophistication depuis le coup d’État. Les gouvernements émergents et les acteur-rice-s de la résistance exercent un contrôle effectif plus important sur un territoire beaucoup plus vaste que celui de la junte. 

Le soutien du Canada au NUG et aux organes de gouvernement infranationaux tels que l’IEC et la KNU, par le biais d’une aide humanitaire directe et d’un soutien financier à leur administration, ainsi que d’une expertise technique en matière de gouvernance démocratique inclusive, contribuera à garantir qu’après la fin du régime militaire, des organes de gouvernance solides pourront assurer une transition en douceur du pays vers une démocratie fédérale. Ce faisant, le Canada peut contribuer de manière significative à accroître l’impact des efforts déployés par d’autres partenaires du G7, tels que le soutien de l’activité de l’USAID en faveur d’une démocratie fédérale inclusive (IFDA).


4. Renouveler la stratégie du Canada pour répondre aux crises des Rohingyas et du Myanmar. On ne sait pas encore si cette stratégie sera renouvelée. Les dépenses liées à une telle stratégie n’ont pas été prises en compte dans le budget 2024-25 et aucune annonce n’a été faite à ce sujet.

La situation au Myanmar a radicalement changé depuis le coup d’État et une nouvelle stratégie est nécessaire pour guider la politique canadienne à l’avenir. Le Canada ne doit pas renoncer à ses engagements et doit poursuivre sur la lancée des succès précédents. Alors que la résistance prend un élan remarquable vers un avenir démocratique fédéral, le moment est venu pour le Canada d’affirmer son soutien au Myanmar.

En nous engageant auprès de notre base collective de centaines de milliers de Canadiens et de Canadiennes, nous pouvons affirmer que les citoyen-ne-s de notre pays continuent à se soucier profondément du Myanmar et des Rohingyas. Une nouvelle stratégie fédérale de réponse aux crises évolutives du pays, ancrée dans le contexte actuel, pourrait servir de crédit budgétaire pour le soutien humanitaire proposé ci-dessus (no. 2) et le soutien bilatéral au renforcement des capacités des acteurs et institutions nationales et infranationales de la gouvernance démocratique (no. 3).     

La stratégie doit également prévoir la nomination d’un-e autre envoyé-e spécial-e chargé-e d’impulser une dynamique politique, de diriger l’engagement diplomatique du Canada et la coordination avec les partenaires internationaux concernant le Myanmar, et de servir de point focal pour notre engagement auprès du NUG et d’autres acteurs et institutions démocratiques. S’engager auprès de ces organes de gouvernance, présenter des lettres de créance au NUG, à la place du Conseil d’administration de l’État de la junte, constituerait une déclaration diplomatique forte de soutien à la gouvernance démocratique fédérale du Myanmar.

Dans sa deuxième stratégie, le Canada s’est engagé à poursuivre le mandat de l’envoyé spécial et à s’appuyer sur les contributions de l’ambassadeur Bob Rae. Aucune nomination n’a encore été faite à ce poste. Cette nomination ne devrait pas remplacer les grandes initiatives diplomatiques ou de dépenses, mais plutôt créer un point focal pour le leadership du Canada et une action forte sur ce sujet important.

 

5. Soutenir les militant-e-s au Canada et la réinstallation des réfugié-e-s. Depuis le coup d’État militaire, le Canada a admis un nombre extrêmement limité de Rohingyas et d’autres réfugié-e-s du Myanmar à se réinstaller au Canada. Le Canada devrait faciliter la réinstallation d’un plus grand nombre de réfugié-e-s.

     
Le Canada devrait également soutenir les Rohingyas et les autres militant-e-s de la diaspora ethnique du Myanmar basé-e-s au Canada, en particulier les femmes. En contribuant financièrement à leur éducation et à leur leadership, le Canada s’assurera qu’ils et elles pourront faire partie de la nouvelle génération de leaders de la société civile qui construiront une nouvelle démocratie fédérale une fois que la dictature aura pris fin.     

La situation actuelle au Myanmar, qui a chassé plus de trois millions de civils de leurs foyers, est tout simplement horrible. Décapitations, maisons brûlées, recrutement forcé de Rohingyas, torture et assassinat de civils dans l’État de Rakhine, brûlage vif de résistant-e-s dans le centre du Myanmar, bombardements aériens massifs contre les civils dans tout le pays, traitement inadmissible des détenues, en particulier des femmes LGBTQ : le niveau de brutalité de la junte est impensable. Comme l’a récemment déclaré Volker Turk, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, « le Myanmar souffre atrocement » et a un besoin urgent de notre soutien.

Nous vous remercions de l’attention que vous portez à cette question importante.

Signée par les 20 organisations caritatives, institutions académiques, organisations à but non lucratif et groupes communautaires canadiens suivants :
1. Burma-Canadian Association of Ontario
2. Burmese Canadian Network
3. Canadian Burma Ethnic Nationalities Organization
4. Le Centre parlementaire
5. Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne, Université d’Ottawa
6. Coopération Canada
7. Développement et Paix – Caritas Canada
8. Institut de recherche sur les conflits et la résilience du Canada (CRRIC)
9. Inter Pares
10. Just Aid Foundation
11. Justice For All Canada
12. Kachin Canadian Association
13. KAIROS
14. Karen Community of Canada
15. MiningWatch Canada
16. Montreal Institute for Genocide and Human Rights Studies, Concordia University
17. Myanmar Policy and Community Knowledge (MyPACK) Hub, Asian Institute, Munk School of Global Affairs & Public Policy, University of Toronto
18. Myanmar Students Association Ontario
19. National Union of Public and General Employees
20. The SecDev Foundation


Approuvée par les 59 organisations suivantes du Myanmar et organisations internationales :
1. Action Against Myanmar Military Coup (Sydney)
2. Ah Nah Podcast  – Conversations with Myanmar
3. All Burma Student Democratic Front  – Australia Branch
4. All Young Burmese League
5. ALTSEAN-Burma
6. Australian Coalition for Democratic Burma
7. Australian Karen Organisation
8. Back Pack Health Worker Team
9. Burma Action Ireland
10. Burma Campaign UK
11. Burma Environmental Working Group
12. Burma Medical Association
13. Burmese Community Development Collaboration
14. Burmese Community Support Group
15. Burmese Medical Association Australia
16. Chin Human Rights Organization
17. CRPH & NUG Supporters Ireland
18. CRPH Funding Ireland
19. Drug & Alcohol Recovery & Education Network
20. Ethnic Community Development Forum
21. Ethnic Health System Strengthening Group
22. German Solidarity Myanmar e.V.
23. Global Myanmar Spring Revolution
24. Human Rights Foundation of Monland
25. Industrial Training Centre Family Sydney
26. Info Birmanie
27. International Association, Myanmar-Switzerland
28. Kachin Association Australia
29. Karen Human Rights Group
30. Karen Office of Relief and Development
31. Karen Women’s Organisation
32. Karenni Human Rights Group
33. Karenni State Farmers’ Union
34. Kuki Women’s Human Rights Organization
35. Lahu National Development Organization
36. Lin Mork Mai
37. Mae Tao Clinic
38. Matu Chin Community – NSW/UPU Chin Association
39. Mindat Chin Community NSW
40. Mon National Council
41. Mon State Development Center
42. Mon State Federal Council
43. Myanmar Campaign Network
44. Myanmar Community Coffs Harbour
45. Myanmar Engineering Association of Australia
46. Myanmar Professionals Association Australia
47. Myanmar Students’ Association Australia NSW Chapter
48. Network for Chin Community Development
49. NLD Solidarity Association (NSW chapter)
50. NSW Karenni (Kayah) Communities
51. Pa-O Youth Organization
52. Progressive Voice
53. Support 4 Myanmar
54. Sydney Friends for Myanmar Unity
55. U.S. Campaign for Burma
56. We Pledge CDM (Australia)
57. Women Activists Myanmar
58. Youth Heart Beams

59. Zomi Association Australia Inc.   

 

Cette lettre a été envoyée à :

Le très honorable Justin Trudeau, C.P., député             
Premier ministre du Canada 
Cabinet du Premier ministre

Cc :
L’honorable Mélanie Joly, C.P., députée, Ministre des Affaires étrangères
L’honorable Ahmed Hussen, C.P., député, Ministre du Développement international
L’honorable Marc Miller, C.P., député, Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté
David Morrison, Sous-ministre des Affaires étrangères
Christopher MacLennan, Sous-ministre du Développement international

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