Les guerres oubliées de la Birmanie

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Women relaxing with their children at Mai Na IDP camp in Kachin State, Burma. Credit: Samantha McGavin

« Les gens sont pris au piège dans la jungle et ne peuvent pas retourner chez eux dans leur village. » Nous sommes en avril 2018; Steven et moi discutons dans la chaleur d’une maison de bois dans l’État Kachin, au nord de la Birmanie. Steven est le secrétaire général du Kachin Development Networking Group (KDNG), une formidable organisation partenaire de longue date d’Inter Pares qui se consacre au développement durable et à la protection de l’environnement. Steven et ses collègues me parlent du récent bombardement du canton de Tanai dans l’ouest de l’État Kachin par l’armée birmane, où cette dernière a également mené des offensives cette année. En bloquant les routes, l’armée empêche l’aide de se rendre aux personnes et les villageois de fuir. Le canton de Tanai possède de lucratives mines d’ambre – et l’armée birmane tente d’en prendre le contrôle.

Alors que nous sommes assis à échanger les dernières nouvelles autour d’un thé, Steven et ses collègues ne cessent d’enchaîner les histoires au sujet de mégaprojets d’extraction de ressources naturelles qui délogent les communautés et engendrent un renforcement de la présence militaire. J’ai tellement entendu d’histoires semblables de déplacements forcés en Birmanie au cours de mes 15 années à Inter Pares. Cela ne fait aucun doute : le gouvernement birman considère la terre comme une ressource qu’il faut contrôler et piller plutôt que de voir celle-ci comme faisant intégralement partie de la vie et de la culture des communautés qui en assurent l’intendance depuis longtemps, et envers lesquelles celui-ci devrait être imputable.

Je passe les deux jours suivants à visiter les camps pour personnes déplacées, aux alentours de Myitkyina, la capitale de l’État Kachin. Gérés par divers comités élus, les camps sont bien organisés, comportant plusieurs rangées de huttes en chaume. Ils sont toutefois très peuplés : entre cinq et dix membres d’une même famille peuvent s’entasser dans une seule pièce d’un peu plus de 18 mètres carrés. Les rations alimentaires sont modestes et les résidents doivent passer des heures à ramasser du bois de chauffage de plus en plus loin.

À Janmai, dans l’un des camps, je suis vraiment frappée de constater l’ampleur du conflit et de sa nature systématique celui-ci est ressenti de manière omniprésente. Les résidents des camps proviennent de 17 communautés à travers la province. Certains d’entre eux ont fui alors qu’ils entendaient l’armée birmane se rapprocher. D’autres ont eu moins de chance; lorsque l’armée est arrivée, les soldats ont tué les villageois ou les ont soumis à de dangereux travaux forcés. Certaines personnes ont entrepris un périlleux périple afin de franchir la ligne de front du conflit armé et de se rendre dans des camps comme Janmai afin d’obtenir un peu d’aide. Cependant, beaucoup d’autres personnes prises au piège derrière la ligne de front sont incapables d’accéder à l’aide internationale alors que le gouvernement birman a entrepris d’empêcher l’aide humanitaire d’atteindre plusieurs camps destinés aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays.

Plutôt que de s’améliorer, la situation n’a fait qu’empirer après l’arrivée au pouvoir d’Aung San Suu Kyi en 2015. Sa porte-parole soutient que les personnes déplacées qui se trouvent du « mauvais côté » de la ligne de front doivent traverser cette dernière afin d’obtenir de l’aide – ce qui contrevient directement au droit international. La situation désespérée de ces personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ne reçoit que très peu d’attention de la part de la communauté internationale, et il en va de même quant au rôle que joue le gouvernement dans celle-ci.

Les cas de violation des droits de la personne par les membres de l’armée birmane, incluant les viols, ne sont que trop fréquents depuis que l’armée a rompu le cessez-le-feu avec les Kachins il y a sept ans. La Kachin Women’s Association of Thailand (KWAT), un autre de nos homologues, estime que plus de 120 000 personnes ont été déplacées, et que des milliers ont été tuées depuis la fin du cessez-le-feu. De concert avec le KDNG et d’autres organisations, la KWAT demande aux Nations unies de saisir la Cour pénale internationale sur le cas de la Birmanie en raison des crimes de guerre commis dans l’État Kachin.

Quelques jours plus tard, je rejoins Charm Tong, une vieille amie d’Inter Pares, à Chiang Mai en Thaïlande. Nous discutons des attaques contre les civils que mène continuellement l’armée birmane dans le cadre de la guerre qu’elle livre aux groupes ethniques armés dans l’État Shan. Elle me parle du travail qu’elle effectue avec le Shan State Refugee Committee (SSRC), un groupe nouvellement constitué dirigé par des membres des camps de réfugiés situés à la frontière séparant l’État Shan de la Thaïlande et qui plaide pour la reconnaissance et le soutient des camps. Le SSRC reçoit déjà une modeste contribution d’Inter Pares, mais il a besoin de fonds plus importants pour offrir de la nourriture et des soins médicaux aux résidents, qui ne peuvent tout simplement pas rentrer chez eux.

Les mêmes préoccupations me hantent alors que je visite nos partenaires en Malaisie – des comités de réfugiés ethniques provenant de Birmanie qui offrent divers services aux membres de leur communauté en plus de les représenter. Malgré les conditions dangereuses et précaires qui règnent en Malaisie, et le fait que les réfugiés ne jouissent là-bas d’aucun statut et qu’ils sont souvent exploités et déportés, les nouvelles en provenance de Birmanie convainquent les gens qu’il n’est pas encore sécuritaire d’y retourner.

Les conversations que j’ai eues durant mon séjour m’ont bien fait comprendre que le processus de paix en Birmanie est profondément compromis, et que les offensives militaires, les crises humanitaires et les violations des droits de la personne se perpétuent bien au-delà des villages rohingyas dans l’État Arakan. La communauté internationale ne consacre que très peu d’attention aux guerres que mène sans relâche l’armée birmane contre son propre peuple; il en va de même pour la complicité du gouvernement dans ce conflit.

Nombre de nos partenaires sont découragés alors que l’espoir de voir naître la Birmanie plus démocratique promise par l’élection d’Aung San Suu Kyi s’estompe. Toutefois, aucune des personnes avec qui j’ai discuté ne m’a dit qu’elle abdiquerait devant ces défis écrasants. Il s’agit de leur patrie. Il s’agit du combat pour l’avenir de leur peuple et celui de leurs générations futures. Abandonner n’est tout simplement pas un choix envisageable.

Le courage, la détermination et les efforts incessants de ces personnes constituent un rappel important de la réalité pour moi qui vis au Canada, bien nourrie et loin de la guerre. Néanmoins, je dois moi aussi persévérer dans mes efforts afin de faire connaître leurs histoires au Canada, et de faire en sorte qu’Inter Pares et le Canada puissent, autant que faire se peut, promouvoir la paix et une véritable démocratie en Birmanie.

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