De la bouche des sans terre : changement au Bangladesh

voices :

Print

Credit: S M Mahfuzul Islam Rahat

Les personnes sans terre du Bangladesh occupent un rang social inférieur. En zone rurale, cela limite leurs possibilités d’obtenir un emploi, des études, une représentation politique et des services sociaux. Avec l’appui de Nijera Kori, homologue de longue date d’Inter Pares, les sans terre ont formé de petits groupes pour revendiquer leurs droits. Au Bangladesh, Nijera Kori appuie plus de 220 000 personnes sans terre, regroupées dans quelque 11 000 organisations.*

Au printemps 2019, Inter Pares s’est rendue au Bangladesh pour s’entretenir avec quelques-uns de ces groupes et comprendre ce qui a changé dans leur collectivité et dans leur vie depuis 25 ans.

Voici leurs témoignages.

Photo Credit: 
S M Mahfuzul Islam Rahat

Begum Rokeya

« Quand j’essayais de prendre un thé avec ma sœur, l’imam local nous chassait des échoppes. Les femmes n’étaient pas bienvenues. Alors j’ai réagi et j’ai commencé à aller où je voulais en disant aux hommes que j’avais le droit d’être là autant qu’eux. Ma sœur m’a appuyée. Nous avons décidé qu’il était temps de réclamer l’accès aux échoppes de thé. J’ai passé le mot de se réunir au marché à d’autres femmes des groupes de sans terre. Nous étions là, debout, pour revendiquer les lieux. Ça a fonctionné. C’était plus difficile pour l’imam et les hommes de chasser tout un groupe plutôt qu’une seule personne! »

Bégum Rokeya dirige le comité villageois et le comité régional. Elle a reçu le prix Joyeeta du gouvernement du Bangladesh en reconnaissance de son travail pour surmonter les obstacles et améliorer le sort des femmes dans sa collectivité.

Nijera Kori utilise la mobilisation sociale pour aider les groupes sans terre. Pour affronter un problème – limites à la mobilité des femmes, par exemple – la méthode de prédilection est souvent de manifester en masse.

Photo Credit: 
S M Mahfuzul Islam Rahat

Jobeda Khatun

« J’ai été mariée en 1988. Au début, mon mari était violent, comme d’autres hommes dans la collectivité. S’il y avait une chicane, il me le faisait payer. J’ai entendu parler de Nijera Kori et j’ai fini par participer aux ateliers. Avec le soutien de mon groupe de personnes sans terre, j’ai créé une entreprise de vente de saris. Malheureusement, ma famille ne m’appuyait pas. Les mauvais traitements ont empiré. Mon mari ne voulait pas que je travaille. Mais j’ai persisté. Je lui ai montré qu’il ne pouvait pas faire vivre la famille à lui tout seul et que je contribuais maintenant aux revenus du ménage. Il voyait bien que c’était vrai. J’ai demandé à Nijera Kori de venir chez nous pour parler d’égalité et dire qu’il est inacceptable de maltraiter les femmes. Les mauvais traitements ont fini par cesser. Mon mari fait maintenant partie du groupe de personnes sans terre et il appuie notre travail dans la collectivité. »

Jobeda Khatun est trésorière de son groupe de personnes sans terre.

La violence contre les femmes est un grave problème au Bangladesh, comme l’attestent ces données effarantes : 53 % des femmes ont vécu de la violence conjugale au moins une fois dans leur vie, dont 24 % dans les 12 derniers mois. Dans les groupes de personnes sans terre, les femmes et les hommes s’informent des enjeux relatifs à l’égalité des sexes et aux droits des femmes. Après avoir gagné de l’assurance, ils revendiquent leurs droits. C’est souvent la femme qui se joint d’abord au groupe et le mari qui se joint par la suite.

Photo Credit: 
S M Mahfuzul Islam Rahat

Nazma Begum

« Il y a 25 ans, des groupes fondamentalistes empêchaient les femmes de circuler librement dans la collectivité. Il fallait mettre une burka pour sortir de la maison. Nous n’avions pas le droit de travailler aux champs. On mariait des jeunes filles à 12, 13 ans. Maintenant, c’est plus souple. Après 25 ans de luttes, nous avons plus de liberté. Notre groupe de personnes sans terre travaille avec le comité régional à l’élimination du mariage des enfants. Et nous incitons les autres femmes à se joindre au groupe pour continuer la bataille. »

Nazma Bégum est trésorière de son groupe de personnes sans terre. Elle a remporté le prix Joyeeta en reconnaissance de son travail pour surmonter les obstacles et améliorer le sort des femmes dans sa collectivité.

Les mariages d’enfants sont chose courante au Bangladesh. 59 % des femmes de 20 à 24 ans ont été mariées ou forcées à une union avant l’âge de 18 ans. Les groupes sans terre luttent contre ce problème de manière très efficace dans leurs villages : ils font de l’éducation sur les ravages découlant des mariages d’enfants et invitent les gens à se joindre à un groupe.

Photo Credit: 
S M Mahfuzul Islam Rahat

Abdul Alim

« J’ai formé des groupes de personnes sans terre dans mon village. Au début, il y avait 50 membres. On faisait de la sensibilisation dans la collectivité et on formait de nouveaux groupes. Depuis que j’appartiens au groupe, ma vie est plus facile. Je réalise à quel point il est plus facile de gérer une famille quand on reçoit – et qu’on accepte – l’aide de sa conjointe. Maintenant, nous nous consultons. Toutes les décisions sont prises à deux. La vie est bien meilleure comme ça. »

Abdul Alim est secrétaire de son groupe de personnes sans terre.

Dans son travail avec les groupes de personnes sans terre, Nijera Kori sensibilise énormément les hommes à la problématique hommes-femmes. Le résultat? Les hommes font plus de tâches ménagères et partagent les décisions avec les femmes.

Photo Credit: 
S M Mahfuzul Islam Rahat

Fojor Ali

« C’est plus facile maintenant de dépister les mariages précoces. Les filles vont à l’école, alors on peut connaître leur âge. Si on apprend qu’une fille a quitté l’école, on s’informe de ce qui est arrivé. Si c’est à cause d’un mariage précoce, on s’organise pour l’empêcher. Il y a des mariages précoces dans d’autres villages, mais ici, nous avons réussi à en réduire le nombre. Le niveau de violence physique était aussi plus élevé il y a 25 ans. Grâce à notre travail avec Nijera Kori, et dans la collectivité, nous pouvons nous opposer de manière plus efficace à la violence et aux pratiques liées à la loi de la charia. »

Fojor Ali est dirigeant régional d’un groupe de personnes sans terre, dont il est membre depuis les années 1980.

Dans les groupes de gens sans terre, les hommes et les femmes travaillent à mettre fin aux mariages précoces et à la violence contre les femmes. Ils contrôlent ces problèmes au sein du groupe, en plus d’intervenir à l’extérieur en parlant aux familles où ils savent qu’il y a de la violence. Ils pressent aussi la police et les autorités locales d’intervenir.

Photo Credit: 
S M Mahfuzul Islam Rahat

Shilu Rani

« Il y a 25 ans, les Hindous vivaient une violence extrême dans mon village. On attaquait nos boutiques. On attaquait nos temples. Avec mon groupe de personnes sans terre, nous avons fait intervenir la police et les journalistes. Et les responsables ont été arrêtés. Depuis, le groupe de personnes sans terre contribue à prévenir la violence contre les Hindous. »

Shilu Rani est secrétaire de son groupe de personnes sans terre.

La majorité est musulmane au Bangladesh, mais le pays compte une importante minorité hindoue en bute à une violence et une discrimination généralisées. Nijera Kori est une organisation laïque qui défend les droits de toutes les personnes sans égard à leur religion.

Photo Credit: 
S M Mahfuzul Islam Rahat

Abdul Baten Sarkar

« Notre groupe de personnes sans terre a reçu une formation sur le mariage précoce, on a appris à quel âge la loi autorise le mariage. Alors on a commencé à intervenir contre les mariages précoces. Tout récemment, on a empêché un mariage précoce. On nous a dit qu’un mariage se préparait, alors on a amené la mère et l’enfant au ministère des Femmes et des Enfants. Ils ont arrêté la mère, qui avait arrangé le mariage, et empêché le mariage. La fille avait 14 ans. »

Abdul Baten Sarkar est secrétaire du comité villageois et dirigeant du comité de la zone.

Nijera Kori accompagne les groupes de personnes sans terre pour les informer des lois du Bangladesh et des droits et obligations qui en découlent. Les groupes estiment que les institutions publiques – police et ministères – ont l’obligation d’appliquer l’état de droit. Le rôle des groupes consiste en partie à exiger que ces institutions rendent des comptes à la population.

*Les villages comptent souvent plusieurs groupes de personnes sans terre qui élisent des leaders pour siéger au comité villageois. Les villages sont regroupés en régions et les régions, en zones. À chaque niveau, le groupe de personnes sans terre élit des membres pour siéger au comité qui organise les activités.

Inter Pares remercie Nijera Kori et les membres des groupes de personnes sans terre d’avoir pris la peine de partager leurs expériences.

Learn more

Add new comment

backdrop