Le féminisme par-delà les frontières

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Des membres de l’équipe d’Inter Pares et des travailleurs migrants lors d’une caravane sur les droits des travailleurs migrants Crédit: Inter Pares

Ce texte fait partie d'un cahier spécial du Devoir sur la Journée internationale des femmes, paru le 3 mars 2018.

 

En latin, Inter Pares signifie « entre égaux ». Et depuis 40 ans que l’organisme oeuvre dans la coopération internationale, il a mis en oeuvre et vu éclore, ici et là, des démarches visant à plus d’égalité. L’organisme prône une approche féministe de l’aide internationale.

 

À ses débuts, Inter Pares était une organisation hiérarchisée, explique le gestionnaire de programme, Eric Chaurette. C’est dans les années 1980 que des femmes intègrent l’organisme (fondé en 1975 par deux hommes), amorçant du même coup un changement de mentalités et de méthode de travail. Les 15 employés de l’organisme sont désormais tous cogestionnaires : les responsabilités et les prises de décisions sont égales, ainsi que le salaire de base. « On prépare d’ailleurs un guide pédagogique pour partager notre mode de travail avec d’autres organisations intéressées par la démarche », souligne M. Chaurette.

L’approche féministe d’Inter Pares se fonde sur l’analyse des structures de pouvoir. C’est en comprenant « les causes profondes des injustices » que la transformation des systèmes en place peut avoir lieu, estime M. Chaurette. Il est aussi important de prendre en compte les réalités locales des groupes communautaires avec lesquels Inter Pares collabore, car ce sont eux qui contribuent à une évolution des attitudes. Ce sont eux qui peuvent permettre aux voix des femmes de se faire entendre, en remettant en question les valeurs patriarcales et en introduisant des principes d’égalité.

Le féminisme au quotidien

C’est ainsi que la Société de développement du Deccan (DDS) a vu le jour, dans la région de Telangana, en Inde du Sud. Cette organisation est devenue, en 20 ans, un exemple de réussite. Quelque 5000 femmes de plus de 75 villages sont membres de la DDS et ont réussi à se tailler une place de premier plan dans leur communauté, grâce à leur savoir-faire agricole. Elles ont développé un système de souveraineté alimentaire mettant en pratique des savoirs locaux.

« C’est une source d’inspiration pour nous, parce que c’est une région très pauvre, avec des problèmes de sécheresse et une grande population de dalits, les intouchables », indique Eric Chaurette. Ces femmes n’avaient pas de terres à cultiver et ont dû se mobiliser pour revendiquer leurs droits. Elles ont ensuite mis en place des banques de semences pour avoir le contrôle sur ces terres et ne plus dépendre de l’achat de produits chimiques. « Elles ont réussi à surmonter plusieurs obstacles et à devenir une forte communauté. » Leur agriculture est aujourd’hui basée sur le mil, une céréale nourrissante et dont la culture est adaptée au milieu.

Pour partager leurs connaissances et avoir voix au chapitre, ces femmes ont ensuite créé la première radio communautaire en Inde. « Elles trouvaient que les radios traditionnelles parlaient trop souvent d’elles d’une manière désobligeante. » Elles s’y expriment dans leur dialecte et y abordent les enjeux qui les touchent.

Leur labeur a aussi permis de changer le comportement des hommes. « Ils doivent participer aux tâches domestiques pour leur permettre de faire tout ce travail associatif et politique, note M. Chaurette. La communauté se porte mieux, et ça renforce l’économie de la région. » Les violences conjugales ont également diminué depuis que les femmes ont plus d’autonomie financière, a constaté la DDS, qui a par ailleurs créé un réseau de refuges pour les femmes victimes de violences.

Solidarité entre agricultrices

Pour que ces effets fassent boule de neige, Inter Pares organise des rencontres entre les organisations, afin d’« établir des ponts entre ce qui se fait ici et ailleurs ». L’organisme a fait venir en Inde des agricultrices de l’Afrique de l’Ouest et une Québécoise, Maude-Hélène Desroches, copropriétaire des Jardins de Grelinette à Saint-Armand. L’objectif : échanger les savoirs et s’inspirer mutuellement. C’est là que l’agricultrice a pu montrer comment elle produit ses légumes sur un lopin de terre d’à peine 0,6 hectare, pour en faire des paniers bios.

Et depuis, au Telangana, on peut trouver des paniers bio. « Trois ans plus tard, je reviens avec une délégation et on voit toutes ces femmes installées en train de préparer des paniers », se rappelle M. Chaurette. Le modèle a pris racine et quelque 250 familles profitent du programme.

Un modèle de réussite qui inspire par-delà les frontières, se réjouit M. Chaurette. Car désormais, de l’Inde au Canada, en passant par l’Afrique, ces agricultrices ont établi un réseau féministe et solidaire.

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