Une sensibilité culturelle et sexospécifique au cœur des soins pour traumatismes au Guatemala et au Pérou

Nouvelles : Analyses

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Jardin à Huancavelica au Pérou : un espace pour commémorer les femmes survivantes de violences sexuelles
Jardin à Huancavelica au Pérou: un espace pour commémorer les femmes survivantes de violences sexuelles. Crédit: Nadia Faucher

C’est de manière disproportionnée que les populations autochtones ont été ciblées par la violence perpétrée contre les civils durant les conflits armés qui ont sévi au Guatemala et au Pérou dans les années quatre-vingt et quatre-vingt- dix. Au Guatemala, les massacres d’autochtones s’apparentent à un génocide; au Pérou, soixante-quinze pour cent des victimes étaient autochtones.

Accompagnées par des organisations non-gouvernementales (ONG) locales, les populations autochtones se sont organisées pour réclamer vérité, justice et réparations (VJR), dans des conditions qu’elles ont elles-mêmes définies. En préparant les témoins à comparaître, on s’est aperçu qu’elles avaient besoin d’un soutien psychosocial qui prendrait en compte le vécu des autochtones.

La violence n’a pas été ressentie par les seuls individus; son impact était collectif, familial et culturel. L’acuité des crimes commis au cours de quelques décennies de conflit armé est venue exacerber un long passé de violence contre les populations autochtones des Amériques. Les conséquences de cette violence systémique sont profondes puisqu’elle se ressent sur les moyens de subsistance, la santé et le sentiment identitaire des communautés. Plus particulièrement, ce sont les femmes qui ont payé le plus lourd tribut pour des siècles de violences sexistes et raciales. Les violences sexuelles qu’elles ont connues au cours des conflits armés sont venues renforcer des traumatismes historiques.

Les homologues d’Inter Pares,  Estudio para la Defensa de los Derechos de la Mujer (DEMUS) au Pérou et  Equipo de Estudios Comunitarios y Acción Psicosocial (ECAP) au Guatemala, accompagnent les communautés autochtones dans leur quête de ressourcement. Ce faisant, les communautés concernées et les ONG ont élaboré une approche communautaire qui a largement aidé les femmes autochtones à se reconstruire, à reconstruire leur communauté et à se refaire une identité en tant que femmes autochtones. Comme le décrit une femme de l’ethnie Ixil du Guatemala : « Ils ont coupé l’arbre, mais ils n’ont pas arraché ses racines. Il est maintenant temps qu’il refleurisse pour que l’on en cueille les fruits. »

Au Pérou, lorsque DEMUS a commencé à offrir un accompagnement juridique et psychosocial aux femmes autochtones victimes de violences sexuelles, force a été de reconnaître les limites des approches occidentales auxquelles les membres de l’organisation avaient été formés. De fait, de nombreuses communautés andines ne connaissent pas la notion de santé mentale, mais reconnaissent la santé comme condition physique et sociale. Pour expliquer ce qui manquait à leur vie, les femmes de la communauté de Manta parlaient d’allin kausay, une expression quechua qui se traduirait par « bien vivre ». Allin kausay représente l’équilibre entre un ensemble d’éléments, pensées, émotions, travail, nature, divinités et autres. L’allin kausay d’une personne est lié à celui de sa communauté. Les survivantes de violences sexuelles reconnaissaient en leur incapacité à trouver leur « équilibre » l’une des conséquences de ces violences. C’est pourquoi elles ont favorablement accueilli le soutien qui leur était apporté de l’extérieur de la communauté pour les aider à retrouver cet équilibre. Dans la psychologie occidentale, la thérapie vise à surmonter la tristesse; en revanche, pour les communautés andines, il s’agit de trouver le moyen de rééquilibrer la tristesse par ses éléments contraires.

Au Guatemala, ECAP a connu une expérience similaire avec l’accompagnement des membres de l’Association pour la justice et la réconciliation (AJR) au cours de la préparation de dossiers judiciaires pour dénoncer le génocide. Grâce à une approche communautaire, il a été possible d’explorer de manière holistique les conséquences du conflit sur le « projet de vie » des autochtones de sorte à dépasser les conséquences physiques et mentales immédiates des violences sexuelles. Dès lors, il était possible de considérer les effets de la violence sur la vie d’une autochtone, ses aspirations, son identité non pas seulement en tant que femme, mais en tant que femme autochtone et son appréciation de sa place dans l’univers. Une telle approche a donc pu tenir compte du lien entre santé physique et santé mentale et entre identité individuelle et identité collective chez les populations autochtones. Elle a, en outre, permis à ECAP et à d’autres organisations partenaires de se conformer aux exigences strictes des systèmes juridiques nationaux et internationauxtout en aidant les femmes autochtones à reconstruire leurs projets de vie et ceux de leurs communautés mayas.

Il est vrai que les femmes autochtones devront parcourir un long chemin avant de pouvoir refermer les plaies de la violence systématique qui leur a été infligée; néanmoins, elles s’aperçoivent, plus que jamais auparavant, qu’elles font partie intégrante de l’arbre de vie communautaire et qu’elles contribuent à son épanouissement.

Ils ont coupé l’arbre, mais ils n’ont pas arraché ses racines. Il est maintenant temps qu’il refleurisse pour que l’on en cueille les fruits.

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