La protection de l’environnement doit passer par la justice sociale

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David Bruer : Gestionnaire de programme à Inter Pares (à gauche).
David Bruer: Gestionnaire de programme à Inter Pares (à gauche).

Par David Bruer, Gestionnaire de programme à Inter Pares

De tout temps, l'environnement a été ma passion. Protéger les forêts anciennes de l'Ontario. Sensibiliser la population à la disparition des habitats et m'engager pour réduire la quantité de déchets. C'est donc tout naturellement que ma vie active s'est d'abord orientée vers l'action militante écologique axée sur les problématiques locales.

En 1987, la Commission Brundtland, constituée sous l'égide des Nations Unies, a publié un rapport qui a fait date; c'est alors que mon intérêt pour l'environnement a tout à coup pris une dimension mondiale. Dans ce rapport intitulé Notre avenir à tous, la Commission a défini la notion de développement durable, mettant l'accent sur le lien entre dégradation de l'environnement au Sud et activités économiques au Nord.

À l'époque, l'organisation canadienne qui m'employait avait fait de la destruction des forêts tropicales humides sa priorité. En effet, il était facile d'appréhender la relation entre agriculture sur brûlis et modes de consommation du Nord, de se rendre compte que les forêts tropicales humides étaient sacrifiées pour faire paître du bétail destiné à finir en boulettes de viande dans nos assiettes ou que les bois précieux étaient vendus comme du vulgaire contreplaqué pour répondre à la demande des pays du Nord. Tout cela, bien sûr, contribuait à la disparition de la diversité biologique tropicale.

Cependant, j'éprouvais un grand malaise face aux solutions préconisées. Au lieu de s'attaquer aux modes de consommation des pays du Nord, de nombreux collègues prétendaient qu'il suffisait d'acheter la forêt tropicale pour la protéger et, en particulier, pour la mettre à l'abri de l'exploitation par les agricultrices et agriculteurs de subsistance.

Je n'étais pas d'accord. Le fond du problème ne se résumait pas à une pauvre paysannerie tentant de survivre; et la solution ne pouvait pas consister à l'empêcher d'avoir accès à ses moyens de subsistance. Un peu partout, les terres agricoles productives avaient été accaparées par les élites fortunées alors que les pauvres étaient contraints d'aller en quête de bouts de terre à cultiver puis accusés de détruire les forêts tropicales humides. S'il s'agissait de protéger ces forêts, il semblait plus logique de promouvoir une réforme agraire. Tant que les questions liées à la justice sociale n'étaient pas réglées, il serait inutile de traiter la problématique de l'environnement.

C'est pourquoi j'ai préféré étudier les causes primordiales de la destruction des forêts tropicales humides et rechercher des solutions systémiques : réforme agraire, respect des droits de la personne et transformation radicale des rapports de force entre les riches propriétaires terriens qui accaparent la majorité des terres et la pauvre paysannerie qui est repoussée vers des lopins de terre de plus en plus marginaux. C'est à cette époque que je me suis installé en Amérique latine pour travailler pour une organisation locale qui partageait cette analyse de la situation. Dans la forêt tropicale du nord du Guatemala, j'ai oeuvré auprès de familles qui revenaient au pays après s'être réfugiées pendant dix ans au Mexique. Huit années durant, je les ai aidées à s'organiser en coopératives pour gérer durablement les sols et la forêt, de sorte que toutes et tous puissent vivre dans la dignité loin de la misère résultant de la privation de terres.

De retour au Canada, je me suis joint à l'équipe d'Inter Pares, une organisation qui me permet de me servir de mon analyse et d'intégrer la double problématique de l'environnement et de la justice sociale. Dans le cadre de notre programme en Asie, je collabore avec la Deccan Development Society (DDS) qui est implantée sur les terres arides et surpeuplées de l'Andhra Pradesh en Inde.

DDS aide les femmes de la caste des intouchables, qui se trouve tout en bas de la hiérarchie sociale, à s'organiser. Traditionnellement forcées à mendier des semences, année après année, elles ne possédaient presque pas de terres. Grâce à des programmes publics, elles ont pu devenir propriétaires de lopins dont les sols étaient souvent considérablement dégradés et dont les riches ne voulaient pas. DDS leur a fourni semences, outils et formation aux méthodes agricoles biologiques et traditionnelles soucieuses de la biodiversité. Elles sont parvenues à bonifier les sols pour produire, de manière durable, dans leurs champs, des récoltes abondantes et variées pour se nourrir et nourrir leurs familles.

Inter Pares et  nos collaborateurs, au Canada et ailleurs, arrimons la défense de l’environnement à la justice sociale. Comme l'indique le titre du rapport Brundtland en 1987, nous partageons tous un seul avenir. Cela signifie que chacun et chacune doit pouvoir prendre part aux décisions qui en détermineront la forme. C'est ensemble que nous œuvrons à un avenir qui soit meilleur pour toutes et tous.

S'il s'agissait de protéger ces forêts, il semblait plus logique de promouvoir une réforme agraire. Tant que les questions liées à la justice sociale n'étaient pas réglées, il serait inutile de traiter la problématique de l'environnement.

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