Au Guatemala, des peuples autochtones revendiquent plus de justice à la suite du conflit armé interne

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Procès pour génocide à Guatemala : une Maya Ixil témoigne.
Procès pour génocide à Guatemala : une Maya Ixil témoigne. Crédit: Roderico Y. Díaz

Plus de trente ans ont passé. Mais le souvenir des atrocités vécues pendant le conflit armé au Guatemala est toujours vivant pour un groupe de femmes q’eqchís des environs de Sepur Zarco et pour des milliers de Mayas ixils de la région de Nebaj. Tout comme leur quête de justice.

En compagnie de notre homologue Project Counselling Service (PCS), des membres du personnel d’Inter Pares visitent souvent ces deux régions pour rencontrer des personnes ayant survécu au génocide perpétré par l’armée à l’encontre des peuples autochtones guatémaltèques. Collaborant depuis vingt ans avec des organisations locales, PCS et Inter Pares ont aidé les Guatémaltèques à reconstituer le tissu social de la collectivité. Un élément central de ce travail fut le soutien psychologique et social offert aux survivantes et survivants, notamment les femmes autochtones, et la création d’espaces sûrs où les gens peuvent raconter leur histoire et se faire entendre. Un autre élément fut de faire connaître la situation et d’appuyer les efforts des Guatémaltèques en vue de traduire les coupables en justice.

Le travail porta ses fruits en mai 2013, lorsque l’ex-dictateur Efraín Ríos Montt fut reconnu coupable de génocide et de crimes contre l’humanité à l’encontre du peuple ixil. Ce procès historique établit un précédent international : il s’agissait de la première fois qu’un ex-chef d’État devait faire face à de telles accusations dans son propre pays. Ceci est dû en grande partie au courage acharné des survivantes et survivants mayas ixils et de la constance des groupes de défense des droits de la personne qui les ont accompagnés tout au long du processus.

Lors de nos visites à Nebaj, on nous a parlé de la politique de la terre brûlée sous la dictature de Ríos Montt. Des villages entiers furent rasés, les maisons brûlées, les récoltes détruites, le bétail abattu; des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants durent fuir dans les montagnes pour ne pas périr. Un homme dont l’épouse, le père et la mère avaient été tués par les soldats raconta comment il vécut six ans dans les montagnes; une femme y passa huit ans après le massacre de sa famille. Les survivants vécurent des difficultés presque insurmontables, se nourrissant tant bien que mal de racines et de feuilles, exposés aux rigueurs du climat et sans cesse à l’affût des attaques de l’armée.

Dans son verdict, la juge Jazmín Barrios déclara que 5,5 % de la population maya ixil avait été exterminée au cours des dix-sept mois durant lesquels le général Ríos Montt était chef d’État de facto du Guatemala. Elle insista sur le fait que l’on avait recouru au viol et à la violence sexuelle contre les femmes, les filles et les aînées dans le but de déshumaniser la population ixil et d’exterminer son peuple.
Les violations des droits exposées lors du procès de Ríos Montt, notamment la violence sexuelle contre les femmes et les filles, ne se sont pas limitées à la région ixil. C’était au contraire une pratique systématique des agents de l’État dans le cadre d’une contre-insurrection menée à la grandeur du pays. 89 % des victimes de violence sexuelle furent des femmes autochtones.

En 2003, avec l’aide d’Inter Pares et de PCS, des militantes et des organisations de femmes ont commencé à briser le profond silence de la société au sujet de l’utilisation de la violence sexuelle pendant le conflit. Elles amenèrent la question sur la place publique et offrirent du soutien aux survivantes en quête de justice et de guérison, notamment à un groupe de femmes q’eqchís qui avaient servi d’esclaves sexuelles aux soldats du camp militaire de Sepur Zarco dans les années 1980.

Au début, selon une ancienne membre du personnel de PCS, les femmes étaient incapables de parler à qui que ce soit de ce qui leur était arrivé. Ce n’est plus le cas. En septembre 2012, avec le soutien d’organisations comme PCS et Inter Pares, quinze femmes q’eqchís témoignèrent devant le tribunal pénal de haut risque dans la ville de Guatemala, lors du premier procès criminel pour esclavage sexuel et viols commis pendant le conflit armé au pays.

L’une d’entre elles raconta comment, après avoir tué leurs maris, l’armée dressa une liste des jeunes veuves et leur ordonna de se rendre au camp militaire. Pendant les six ans qui suivirent, elles durent faire la cuisine pour les soldats, laver leurs vêtements et subir des viols à répétition. Une autre ajouta, « Refuser, c’était signer son arrêt de mort. » Au milieu de toute cette tristesse, les femmes racontèrent aussi comment elles trouvèrent le courage et la force de dénoncer leurs agresseurs, après avoir refoulé ces souvenirs pendant tant d’années. On sentait toute l’humanité et tout l’amour qui les unissaient quand elles dirent combien il avait été important de faire cette démarche ensemble.

Les forces de l’impunité restent solides au Guatemala. La cause d’esclavage sexuel en est encore à ses premières étapes. Pour ce qui est du verdict de Ríos Montt, la Cour Suprême a ordonné un nouveau procès. Cette décision a été dénoncée par des organisations nationales et internationales comme étant un recul important pour la justice dans ce petit pays. Quoi que réserve l’avenir, et malgré les doutes sur la justice véritable qu’il est possible d’obtenir de nos jours au Guatemala (le président actuel est un ex-général qui dirigeait la base militaire de Nebaj pendant la dictature de Ríos Montt), le courage et le témoignage des survivantes ne peuvent s’effacer. Les procédures contre Efraín Ríos Montt et les tentatives en vue d’exiger des comptes des responsables de l’esclavage sexuel des femmes de Sepur Zarco sont des signes encourageants. Ils soulignent l’importance d’accompagner les Guatémaltèques sans relâche dans leur lutte pour la vérité et la justice.

... Puisse leur mémoire rester vive/
Et que la flamme du souvenir/
Ne s’éteigne jamais...
Plus jamais de sang,
 Plus jamais de douleur,
 Plus jamais... - Humberto Ak’abal, poète maya k’iché

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