50 ans d’activisme : santé et droits sexuels et reproductifs

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Des femmes tiennent des foulards verts lors d'un pañuelazo ou manifestation de foulards pendant le visionnage de l'audience de la CIDH sur le cas de Beatriz à la Casa de las Mujeres à Suchitoto, au Salvador, en mars 2023. Crédit: Jessica Xiomara Orellana Ventura

Depuis 50 ans, la portée et l’ampleur du travail d’Inter Pares en matière d’autonomie corporelle – la liberté et le pouvoir de contrôler son corps – sont profondément ancrées dans les principes et la pratique féministes. Un engagement envers l’apprentissage et la collaboration, la confiance et la solidarité, la liberté et le pouvoir d’agir exprime qui nous sommes et l’importance de cette question pour nous. Par notre travail de plaidoyer, de collecte de fonds, de sensibilisation du public et de création de coalitions, nous aspirons à ce que chaque personne, où qu’elle soit, ait accès à la santé et aux droits sexuels et reproductifs (SDSR). Les enjeux abordés ont évolué et se sont élargis, mais notre base reste la même. Les principes et la pratique féministes ont marqué notre passé, comme ils marquent notre présent et marqueront notre avenir.

Retour en arrière

Dès les débuts d’Inter Pares, nous avons soutenu Gonoshasthaya Kendra (GK) – Le centre de santé populaire – une organisation qui offrait depuis peu des soins de santé de qualité aux femmes et aux hommes appauvris de milieu rural au Bangladesh. Dans les années 1980, des organisations d’aide internationale et des sociétés pharmaceutiques finançaient des mesures de contrôle démographique coercitives et violentes largement dirigées vers les femmes du pays, par l’entremise de programmes réalisés par le gouvernement bangladais. GK a contesté la logique et l’humanité de ces programmes avec le soutien d’Inter Pares – une position non orthodoxe à l’époque, fondée sur une profonde connaissance du contexte local. GK a aussi contesté la législation du pays en santé, plaidant avec succès pour une politique nationale des médicaments génériques afin de faciliter l’accès des personnes pauvres aux médicaments essentiels.

À l’époque, Inter Pares travaillait au Canada avec des groupes de femmes et des groupes en santé en vue de l’adoption de politiques sur la sécurité des contraceptifs et des médicaments génériques au Canada. Avec la collaboration de GK et de groupes de femmes du Bangladesh et du Canada, cette expérience a mené à la cocréation de la pièce Side Effects (effets secondaires) qui contestait la médicalisation de la santé des femmes. Pendant sa tournée pancanadienne, Side Effects a suscité de riches discussions entre le public et des activistes pour la santé et les droits des femmes. Ces connexions ont donné naissance au Réseau canadien pour la santé des femmes, carrefour féministe de recherche-action en santé.

« Quel que soit l’endroit, Inter Pares plaçait l’oppression et l’exploitation des femmes au cœur de son analyse et de son activisme. Nous avons créé des connexions Nord-Sud entre des groupes de femmes et d’autres organisations grâce à des programmes de solidarité fondés sur la communauté d’intérêts en vue de stimuler l’apprentissage et le soutien mutuels. Plusieurs de ces programmes ont exercé une influence profonde sur la vie des gens, les lois et l’éducation du public », rappelle Karen Seabrooke, ex-membre du personnel d’Inter Pares.

Notre lutte contre l’oppression des femmes a pris de l’ampleur dans les années 1990. En Birmanie, des milliers de personnes subissaient la brutalité et la violence de la junte, à l’origine de vagues de déplacements fondés sur la race. Il était extrêmement difficile pour les femmes d’obtenir des services de santé sexuelle et reproductive. Inter Pares a soutenu le travail de leaders birmans en vue de former des équipes de santé locales dignes de confiance dans les régions touchées afin de répondre aux besoins des femmes. Nous avons été la première organisation canadienne à obtenir des fonds substantiels pour appuyer la formation de centaines d’Autochtones afin de faciliter les accouchements et former des équipes médicales mobiles qui ont aidé à contenir la vague de mortalité maternelle dans les zones de conflit en Birmanie.

Où nous en sommes, aujourd’hui

L’activisme d’Inter Pares pour l’autonomie corporelle et la SDSR se poursuit aujourd’hui dans une collaboration à long terme avec des homologues de partout dans le monde. C’est un travail diversifié et efficace, réalisé par des mouvements féministes nationaux. Au Salvador, La Colectiva Feminista para el desarollo local se réjouit du succès de sa lutte pour la reconnaissance juridique du droit à l’avortement à la Cour interaméricaine par l’entremise du « cas de Beatriz ». Aux Philippines, le Centre Likhaan pour la santé des femmes joue un rôle central dans le plaidoyer pour le droit des jeunes à une éducation complète à la sexualité (ÉCS) devant la puissante opposition fondamentaliste. En Amérique latine, Colombia Diversa contribue avec audace à l’évolution des mentalités et des politiques pour surmonter la stigmatisation et la discrimination vécues par les personnes LGBTQI+ et promouvoir leurs droits, non seulement en Colombie mais dans toute la région. À la frontière birmano-thaïlandaise, la Clinique Mae Tao offre un programme holistique d’accouchement sécuritaire qui résiste aux bouleversements politiques depuis des décennies, sans lequel les Birmanes auraient été privées totalement – ou presque – d’accompagnement qualifié à la grossesse ou l’accouchement, et de soins pré et postnataux.

Samantha McGavin, directrice générale d’Inter Pares et membre de l’équipe Birmanie à Inter Pares fait cette réflexion : « C’est de la magie que la rencontre fortuite de mon défunt collègue Peter Gillespie avec une jeune médecin, la docteure Cynthia Maung, à la frontière birmano-thaïlandaise ait donné naissance à une relation institutionnelle de plusieurs décennies, qui a permis d’amplifier et d’élargir petit à petit le travail de la Clinique Mae Tao. C’est typique de la façon de travailler d’Inter Pares. »

Au fil de notre histoire, les thèmes abordés en matière de SDSR ont évolué et se sont élargis : accès à la contraception et à l’avortement en toute sécurité, adoption de politiques féministes en santé, lutte contre la stérilisation forcée ou contrainte et médicalisation de la santé des femmes, financement de la SDSR, et soutien d’organisations féministes locales en SDSR. Fidèles à l’activisme et l’analyse politique des débuts d’Inter Pares, nous traçons de solides parallèles entre la pratique passée et ce que nous continuons de faire, à partir de l’éthos selon lequel les femmes et les personnes marginalisées doivent détenir le droit et le pouvoir de contrôler leur corps.

Le travail que nous poursuivons maintenant sur la stérilisation forcée est aussi axé sur les survivantes péruviennes des politiques instaurées par la dictature de Fujimori. Avec l’appui de notre homologue du Pérou, SISAY, elles ont trouvé une solidarité dans les liens tissés il y a quelques années avec des activistes autochtones du Canada qui posent des questions sur l’histoire honteuse de notre pays en matière de stérilisation forcée.

Inter Pares s’est aussi concentrée davantage sur l’accompagnement d’organisations LGBTQI+, au Soudan avec SAGIA (Sudanese Agency for Gender Inclusion and Advocacy), en Colombie avec Fondo Lunaria et Colombia Diversa, au Pérou avec DEMUS et au Guatemala avec Asociación Lambda. Ici au pays, nous sommes membres de la Coalition canadienne de la santé et plaidons toujours pour un programme national d’assurance-médicaments, avec accès gratuit aux contraceptifs et à d’autres médicaments.

Avec notre appui, nos homologues à l’international ont renforcé leurs programmes sur la santé sexuelle des adolescents – au Bangladesh avec Nijera Kori et au Salvador avec La Colectiva – même si le contexte sociopolitique dans lequel s’inscrit leur travail est souvent dangereux et risqué sur le plan politique quand il se heurte aux forces de la droite et de l’intégrisme.

Comment nous réalisons ce travail

Même si les injustices auxquelles nous nous attaquons évoluent et se modifient, notre façon de travailler reste la même. Il y a une cohérence dans les méthodes et les outils déployés par Inter Pares pour atteindre ses objectifs de SDSR. Il s’agit d’un processus féministe.

Dans les années 1980, notre plaidoyer politique au pays avait pour but de stopper le financement de programmes de stérilisation forcée et contrainte appuyés par le Canada par l’entremise de la Banque mondiale . Aujourd’hui, l’un de nos objectifs en matière de plaidoyer politique est d’assurer qu’Affaires mondiales Canada accorde la priorité à quatre secteurs négligés de la SDSR : avortement sécuritaire, santé des adolescents, dont l’ÉCS, contraception et plaidoyer.

Dans les années 1990, nous avons obtenu des fonds du gouvernement canadien pour soutenir l’expansion du travail de Likhaan en SDSR – organisation communautaire, services cliniques et plaidoyer auprès du gouvernement. Dans les décennies qui ont suivi, nous avons recherché et obtenu des fonds pour appuyer le travail de Likhaan. Au début 2025, nous avons signé une autre entente avec le gouvernement du Canada, par laquelle il s’engageait à verser des fonds à Likhaan pendant 7 ans, avec l’ajout de fonds consacrés à la SDSR comme nouvelle thématique.

Notre projet féministe d’engagement du public dans les années 1980, la pièce Side Effects, trouve son parallèle dans l’exposition photo de 2024 filles, mères, grands-mères et autres hors-la-loi sexuels qui aura été présentée à sa conclusion dans au moins huit villes canadiennes, dont Victoria, Whitehorse, Winnipeg, Ottawa, Toronto, Gatineau, Kitchener-Waterloo et Fredericton.

La participation actuelle d’Inter Pares au travail de coalition avec l’Initiative de planification de l’avenir (IPA) a pris racine dans les débuts du travail de coalition d’Inter Pares afin d’assurer que son propre gouvernement se dote de politiques féministes en matière de SDSR. L’IPA a joué un rôle crucial dans l’engagement pris par le gouvernement du Canada en 2019 de consacrer chaque année pendant 10 ans 1,4 milliard $ à la santé des femmes et des enfants, dont la moitié est réservée à la SDSR.

Rita Morbia – membre de l’IPA qui a aussi travaillé à la SDSR à Inter Pares – souligne que « le travail de coalition fait partie de l’ADN d’Inter Pares – c’est un puissant moyen d’unir et d’amplifier des voix apparemment disparates pour atteindre des objectifs féministes. »

Liées à une profonde stigmatisation, les questions relatives à la SDSR sont souvent instrumentalisées pour renforcer des idéologies politiques autocratiques et régressives. Tout au long de son histoire, Inter Pares a utilisé une importante tactique pour bâtir la solidarité féministe tout en stimulant le partage du savoir : les échanges d’apprentissage. Nathalia Santos Ocasio s’est jointe récemment à Inter Pares à titre de gestionnaire pour le programme Amérique latine. Avec des homologues du Bangladesh, des Philippines et du Salvador, elle a participé à une tournée d’engagement du public dans les Maritimes canadiennes à la fin 2024. Elle souligne ici la valeur durable des échanges du savoir entre le Nord et le Sud en tant que praxie clé de la réciprocité qui nous aidera à poursuivre le travail de SDSR à l’avenir. « Alors que le contexte politique actuel exacerbe les menaces aux droits reproductifs et à l’autonomie corporelle, le dialogue intergéographique avec des homologues nous aide à développer des stratégies solides pour contester les normes sociétales et les injustices structurelles qui exposent les personnes queers et les femmes marginalisées aux injustices, à la violence et à la mort prématurée au Canada et ailleurs dans le monde. »

La suite des choses

Avec l’énergie et le dynamisme qu’apporte chaque nouvelle génération à Inter Pares, nous misons résolument sur notre héritage de 50 ans d’activisme pour l’autonomie corporelle. Nous allons apprendre du passé, aspirer à répondre au moment présent et tenter avec audace de participer à la création d’un avenir inclusif. De concert avec nos courageux homologues, notre base partisane engagée et nos alliés de longue date, nous trouverons encore des moyens de soutenir les personnes et les mouvements à l’avant-garde de la lutte pour l’autonomie corporelle – comme nous l’avons toujours fait.

Même si les injustices auxquelles nous nous attaquons évoluent et se modifient, notre façon de travailler reste la même. Il y a une cohérence dans les méthodes et les outils déployés par Inter Pares pour attendre ses objectifs de SDSR.

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